Dans un lieu qui pourrait être un atelier, ou une chambre noire, un homme et une femme se parlent. Il ne s’agit pas d’amour, mais d’art. Il ne s’agit pas de débat, mais de tentative commune, de comprendre. De ressaisir ce que le poète Bernard Noël cherchait à définir de son ami l’artiste Roman Opalka, la manière dont il « déroute la représentation ».*
En 2012, Bernard Noël publie Le Roman d’un être, série de discussions partagées avec le peintre Roman Opalka qui lui ouvrit son atelier. À l’âge de 35 ans et jusqu’à sa mort, le peintre fixe sur des toiles, des Détails comme il les appelle, ce qui ne se laisse pas fixer : le mouvement du temps. Il le fait de la manière la plus rationnelle : il commence par le nombre 1 qu’il peint en blanc sur un fond noir, puis à la suite, il enchaine tous les nombres suivants, toujours en blanc sur des fonds qui deviendront de plus en plus clairs jusqu’au blanc « absolu », jusqu’à l’ultime de ces nombres : 5.607.249 : 45 années se sont écoulées.
Au théâtre, à travers les mots de Bernard Noël qui sont aussi en partie ceux de Roman Opalka – les mots de la conversation – il est important de donner, de chercher, d’expérimenter une sorte de correspondance à cette extrême attention, celle que l’on retrouve de manière si bouleversante dans cette œuvre : celle du temps irréversible.
Sur le plateau de part et d’autre d’une table oblongue, dans l’espace et la lumière d’Éric Blosse, les deux acteurs, leurs deux voix, leurs deux corps. Projetées sur un support qui aurait – dans ses proportions – les dimensions du Détail/Opalka, des images en mouvement réalisées par Olivier Crouzel. Etienne Martinez organise un espace microphonique et sonore en écho à l’atelier du peintre.
Si l’œuvre de Bernard Noël fait de la poésie son principe unificateur Extraits du Corps, La Chute des Temps (Poésie-Gallimard), elle n’est nullement réductible à un genre littéraire : poésie oui, mais aussi roman, essai, théâtre, journal de voyage, critique d’art, dictionnaire…
Son amitié pour les peintres et son goût pour la peinture sont le cœur vibrant d’œuvres telles que Magritte (P.O.L), Vers Henri Michaux (Unes), Paul Trajman ou la main qui pense (Ypsilon) et tout dernièrement Un Toucher aérien – dessins de Bernard Moninot – poèmes de Bernard Noël (Artgo & Cie). Sans oublier, bien sûr Le Roman d’un être (P.O.L). Le peintre Roman Opalka a ouvert son atelier à l’écrivain Bernard Noël, tel Alberto Giacometti à son ami Jean Genet. Onze entretiens menés d’avril 1985 à février 1996 que révèle l’écriture de Bernard Noël sublimement accordée à la peinture sublimement unique de Roman Opalka.
Voici ce que le peintre écrit au sujet de son œuvre qu’il a intitulée OPALKA 1965/ 1 – ∞ entamée en 1965 – il a alors une trentaine d’années – et que sa propre mort est venue achever en 2011 : « J’inscris la progression numérique élémentaire de 1 à l’infini sur des toiles d’un même format, toujours 196 sur 135 centimètres, à la main, au pinceau, en blanc sur un fond noir recevant depuis 1972 chaque fois environ 1 pour cent de blanc supplémentaire. Arrivera donc le moment où je peindrai en blanc sur blanc. Depuis 2008 je peins en blanc sur fond blanc ce que j’appelle le « blanc mérité ». Après chaque séance de travail dans mon atelier, je prends la photographie de mon visage devant le Détail (la toile) en cours. Chaque Détail, à partir de 1968, s’accompagne d’un enregistrement sur bande magnétique de ma voix prononçant les nombres pendant que je les inscris. » Ces nombres Opalka les égrène en polonais, sa langue maternelle. Il précise : « Je les énumère en polonais, pas en français. Quand tu dis 99 en français, tu dis 4 puis tu passes par le 20, et puis tu dis 19. En belge ou en suisse tu dis nonante-neuf. Le 99 français est privé de chronologie. » 1 est le premier nombre posé par Opalka en 1965.
Adaptation pour la scène :
Frédéric Leidgens assisté de Sophie Robin
Distribution :
Frédéric Leidgens
Sophie Robin
Scénographie et lumière :
Eric Blosse
Vidéo :
Olivier Crouzel
Son :
Etienne Martinez
Production : Collectif jesuisnoirdemonde
Coproduction :
Les Célestins – Théâtre de Lyon, Les SUBS
Accueil en résidence :
Les SUBS
OARA – Office Artistique de la Région Nouvelle-Aquitaine – MECAscène – Bordeaux
Le Centquatre – Paris
Soutiens :
Aide au projet DRAC Nouvelle-Aquitaine
OARA – Office Artistique de la Région Nouvelle-Aquitaine
* Transfuge : « Le Mystère Opalka aux Célestins » Oriane Jeancourt-Galignani
2023 –
Du 05 au 15 janvier – Les Celestins, Théâtre de Lyon (69)
Les projets du Collectif jesuisnoirdemonde